Ils nous parlent de
“l'État profond” (the “Deep
State”), ces pouvoirs obscurs qui dirigent l'État au lieu
de son maître légitime: le peuple. Ils ont raison et ce n'est pas
surprenant, car c'est ce qu'ils ont eux-mêmes fait. Les
multinationales ont pris le pouvoir sur le gouvernement américain:
l'argent a vaincu la démocratie.
L'alliance entre Donald Trump
et Elon Musk en 2024: l'État profond mis en avant
Les multinationales sont un risque pour la démocratie
Depuis toujours, les riches se sont enrichis toujours plus,
jusqu'à posséder tout, et à transformer leurs concitoyens en
locataires, en débiteurs, en travailleurs exploités, ou en
esclaves. Déjà il y a des milliers d'années, des humains ont tenté
de contrôler ce phénomène: on en trouve la trace dans le Lévitique
(un livre de la Bible et de la Torah) écrit il y a 2500 ans: son
chapitre 25 est entièrement consacré à des règles complexes
(et peut-être pas efficaces) censées permettre aux pauvres de ne
pas devenir esclaves, à la propriété terrienne de revenir à la
collectivité, et aux salariés et aux locataires d'acheter leur
autonomie (possibilité offerte une fois tous les 50 ans, et
limitée aux membres de la tribu).
De la même façon, les démocraties modernes ont instauré une
multitudes d'outils pour limiter la concentration des richesses et
du pouvoir, et éviter que la croissance des inégalités n'aboutisse
à des révolutions sanglantes, ou à des régimes inégalitaires de
type esclavage, servage, ou apartheid. Parmi ces règles, plus ou
moins bien appliquées, on trouve:
La redistribution: les
riches paient des impôts plus élevés (la fraude fiscale est
réprimée, y compris quand on la nomme “évasion” ou
“optimisation” fiscale) et les pauvres reçoivent des aides.
Le scrutin universel:
chaque personne dispose du même droit de vote, le poids des
ultra-riches est donc dilué.
L'égalité de tous les
citoyens devant la loi et les tribunaux et le droit à
chacun d'être défendu s'il est accusé.
Des garanties pour les
travailleurs: salaire minimum, conditions de travail,
droit à se syndiquer, etc.
Un socle de libertés
(garanties par des traités, Constitutions, et autres textes
plus difficiles à modifier qu'une simple loi): le droit
de se déplacer, d'exprimer ses opinions (même religieuses), de
se réunir.
La liberté de la presse:
protection des journalistes et de leurs sources, répression
contre la calomnie, la diffamation, l'intimidation, les menaces,
et les appels au crime.
Des lois contre la corruption
et les conflits d'intérêts, l'abus de position
dominante et l'entente entre concurrents.
Des lois sur la protection de
l'environnement, protégeant le peuple contre les dégâts
provoqués par les multinationales.
Des procédures juridiques
collectives: “class-actions”, plaintes avec partie
civile d'associations de consommateurs, de victimes, de défense
de l'environnement, etc.
Pourquoi l'État profond des milliardaires veut détruire la
démocratie
Lorsque la richesse et le pouvoir des milliardaires deviennent
totalement indécents, elles se heurtent aux limites instaurées par
les démocraties, au nom des intérêts du peuple. C'est notamment la
position d'Elon Musk: il souhaite pouvoir lancer des satellites
sans tenir compte de la pollution sur Terre et des collisions dans
l'espace, mettre en service des voitures à pilotage autonome sans
avoir à démontrer leur sécurité et sans être responsable en cas
d'accident ou de prise de contrôle par une puissance hostile,
diffuser des mensonges sans pouvoir être jugé responsables des
messages haineux qu'il sélectionne volontairement, permettre
l'entrée d'immigrés pour travailler dans ses usines mais sans leur
donner les droits permettant de se faire entendre, etc...
Cet intérêt égoïste est donc la principale raison au soutien des
dictateurs par les milliardaires, mais il peut aussi y en avoir
d'autres:
Des raisons conjoncturelles:
dans les années 1930, le grand patronat allemand a soutenu
Hitler pour éviter les progrès sociaux réclamés par le
mouvement communiste, pour se défendre contre l'expansionnisme
belliqueux de Staline, ou tout simplement pour s'approprier
les entreprises appartenant à des Allemands juifs ou pour
bénéficier des nombreux contrats de l'armée allemande. Mais
pendant ce temps, le grand patronat américain soutenait
l'effort de guerre contre Hitler.
La psychologie collective: les
milliardaires ne vivent qu'entre ultra-riches (de l'école
jusqu'au cimetière), pour eux le peuple n'existe pas et la
démocratie est donc illégitime. De plus, l'idée que le peuple
est médiocre et incompétent, justifiant le refus de la
démocratie, légitime aussi l'énormité de leur richesse. Tandis
que dans une démocratie, le postulat de l'égalité entre les
citoyens rend insupportable les inégalités excessives de
richesse.
La psychologie individuelle:
il y a une sur-représentation des personnalités
narcissiques parmi les fondateurs d'entreprises très
originales (dont certaines deviennent des grands succès, même
si ces fondateurs deviennent ensuite rarement de bons
gestionnaires), et ce trouble implique de se croire supérieur
et de vouloir se l'entendre dire, dès lors l'opinion du peuple
n'a aucune importance par rapport à la leur.
Il y a par ailleurs une sur-représentation de la psychopathie chez
les grands patrons et financiers: dans leurs écoles, les
valeurs d'égoïsme total et d'absence d'empathie sont très
valorisées. On critiquera par exemple un grand patron qui
annonce réduire ses émissions de gaz à effet de serre pour
permettre la survie de l'humanité, mais on l'applaudira s'il
explique qu'il a pris cette décision uniquement parce qu'elle
va augmenter ses bénéfices. Ce type de personnalité incite
évidemment à un pouvoir tyrannique et au refus de la
démocratie.
Des situations personnelles:
Elon Musk a grandi dans le régime officiellement raciste de
l’Apartheid en Afrique de Sud (il a quitté son pays avant la
chute de l'Apartheid). Pour lui, il est donc normal qu'une
minorité de citoyens (les Blancs) aient tous les droits et
toutes les richesses, tandis que la majorité (les Noirs) soit
maintenue en esclavage et privée de tous droits. Le
suprématisme est une valeur essentielle pour lui. C'est à ce
titre qu'il rêverait, une fois qu'il aura rendu la Terre
inhabitable avec ses fusées et ses entreprises, de “sauver”
une sélection de représentants de la race supérieure blanche
en l'envoyant sur Mars. Bien sûr c'est un délire irréaliste:
il est incroyablement plus facile d'éviter de rendre la Terre
inhabitable que de rendre Mars habitable, et si des voyages
sur Mars se faisaient un jour, tout indique que ce serait
incroyablement risqué, malsain (rayonnement cosmique par
exemple), insupportable, et polluant (certainement des
centaines de milliers de tonnes de métaux spéciaux et de
carburants pour envoyer une personne).
Des ordres politiques:
aussi riche soit-il, un milliardaire peut être menacé par un
régime politique. En Russie, un milliardaire qui ne soutiendrait
pas Vladimir Poutine (par ses propos publics, mais aussi
financièrement) serait immanquablement incarcéré et probablement
assassiné. Dans d'autres pays, l'entreprise pourrait être
autoritairement nationalisée, ou soumise à des lois l'empêchant
de fonctionner ou de faire des bénéfices. Dans ce cas, à moins
de choisir l'exil, c'est tout simplement contraint et forcé que
le milliardaire soutient le dictateur arrivé au pouvoir. Il est
possible que ce soit peu ou prou la raison pour laquelle Mark
Zuckerberg est subitement devenu le meilleur soutien de Trump,
quelques jours avant son arrivée au pouvoir en janvier 2025.
Comment ils créent l'État profond
Pour prendre le pouvoir, en gérant l'État à la place du système
démocratique, les milliardaires de “l'État profond” utilisent tous
les moyens leur permettant de démanteler les outils instaurés pour
limiter leur richesse et leur pouvoir.
En se basant principalement sur l'exemple américain (USA), on
peut noter:
arrêt de la redistribution:
suppression des impôts sur les plus riches, création de moyens
pour frauder le fisc (par exemple les crypto-monnaies),
suppression des aides (déjà très faibles) aux plus pauvres.
restrictions au scrutin
universel: par exemple les bureaux de vote des
quartiers qui votent démocrate sont trop petits, il faut y faire
la queue pendant des heures, il est interdit de s'absenter ou de
recevoir de l'eau quand on est dans la queue, il faut présenter
des documents que tout le monde le possède pas (par exemple le
permis de conduire), le découpage électoral (le
“gerrymandering”) favorise les Républicains.
Réduction de l'égalité des
citoyens devant la loi: ce point n'a jamais été parfait
aux USA (jadis les riches échappaient à la Justice en changeant
d'État, aujourd'hui ils peuvent rendre le procès tellement
coûteux que personne ne peut gagner contre eux). Mais la
désignation de juges à la Cour Suprême (ils sont nommés à vie) à
la fois très réactionnaires, peu soucieux du droit, et jeunes et
en pleine forme, biaise l'ensemble de la Justice américaine.
Peu de garanties aux
travailleurs: les travailleurs américains ont toujours
eu peu de droits et de bas salaires (sauf une minorité d'entre
eux), ceci s'aggrave encore lorsque la suppression de divers
“filets de sécurité” rend l'hypothèse d'un licenciement bien
plus redoutable.
Révocation du socle de
libertés: dénonciation de traités les protégeant, et
nomination de juges à la Cour Suprême ne reconnaissant que les
“droits” auxquels tiennent les trumpistes: porter une arme à
feu, corrompre les politiciens (suppression des limites au
financement politique), s'attaquer aux femmes qui avortent ou
aux médecins qui les aident, etc...
Abolition de la liberté de la
presse: rachat des médias par des milliardaires
favorables à l'autoritarisme, création de nouveaux types de
médias (tels que X-Twitter, FoxNews ou CNews), menace ou
répression contre les journalistes, etc... Bien souvent, il ne
reste au final plus aucun média significatif qui ne soit pas
soumis aux milliardaires et à leur gouvernement. Les USA ont vu
d'abord la disparition des journaux locaux, puis l'apparition
des médias du milliardaire d'extrême-droite Rupert Murdoch (dont
FoxNews), puis le rachat de Twitter (devenu X) par le
milliardaire pro-nazi Elon Musk, lequel a déclaré la disparition
de l'ensemble des autres médias.
Institutionnalisation de la
corruption de masse: les dictatures sont des régimes
corrompus, où les richesses du pays sont accaparés par le
dictateur et ses alliés. Avec Donald Trump, l'argent public est
détourné par centaines de milliards vers les entreprises qui le
soutiennent (sociétés du secteur numérique et d'Elon Musk,
sociétés du secteur pétrolier et gazier, etc). Les juges nommés
à la Cour Suprême ont aboli toute restriction aux dons
d'entreprises et de milliardaires aux politiciens.
Abrogation des lois sur la
protection de l'environnement: les droits des citoyens
et des prochaines générations sont sacrifiés au bénéfice de
l'intérêt à court terme des milliardaires.
La fermeture des voies de
recours juridiques: par exemple les milliardaires
propriétaires de médias sociaux comme X-Twitter ou Facebook sont
exonérés de toute responsabilité pour les conséquences de leurs
actes (par exemple mettre en avant des contenus incitant au
crime, ou diffuser des calomnies). Il en est de même pour les
victimes de dégâts environnementaux, ou pour les victimes
d'armes promues par les fabricants d'armes et vendues à des
lycéens.
Résister à l'État profond et aux multinationales
L'État profond des milliardaires est extrêmement puissant car il
supprime toute notion de “séparation
des pouvoirs”: le pouvoir peut être concentré par une
seule personne (ou un seul clan), et pendant une durée illimitée.
Il ne faut donc pas croire qu'il puisse disparaître de lui-même,
juste parce qu'il a fait son temps: le bourrage de crâne incessant
et le musèlement des voies discordantes empêche de penser
sérieusement à une alternative, et la concentration des pouvoirs
permet au dictateur de mettre tout opposant potentiel hors d'état
de nuire. On le voit aux USA avec la possibilité, pour Donald
Trump, de prendre des décisions tellement graves qu'elles
remontent à la Cour Suprême, où les juges qu'il a nommés les
déclarent légales.
Ce sont donc par des moyens actifs qu'il faut s'opposer à l'État
profond des milliardaires. Voici quelques pistes:
Dénoncer et documenter tous les abus, et enregistrer ces
dénonciations (sur des sites web, mais également dans des
archives privées pour utilisation future).
Utiliser les moyens qui existent pour s'opposer aux abus et à
la concentration indue des pouvoirs et de l'argent: des actions
peuvent être menées via des associations de consommateurs, des
journalistes et des associations de lecteurs, des syndicats et
des associations, des partis politiques.
Défendre ardemment les principes fondamentaux (tels que la
Déclaration universelle des droits de l'homme) et les
institutions (tels que le Conseil Constitutionnel ou l'ONU), car
c'est leur large reconnaissance qui leur permet d'être forts et
efficaces.
Lire (regarder, ou écouter) et financer les médias
indépendants. En France, Mediapart est le meilleur exemple de
succès, et il en faudrait d'autres.
Fuir et inciter à fuir tout ce qui dépend de l'État profond
haineux. C'est facile dans certains cas: n'achetez aucune
voiture Tesla (ceci vous évitera aussi un accident si son
logiciel devait être modifié par un pirate ou sur ordre de Musk
lui-même).
Dans le domaine de l'information: évitez absolument les médias
et canaux contrôlés par médias de Vincent Bolloré, X-Twitter,
Facebook, etc... Se pose alors la question des alternatives:
Il existe parfois des alternatives
proches: on peut regarder France 2 plutôt que CNews,
lire La Tribune plutôt que le JDD, ou communiquer sur Blue Sky
plutôt que sur X-Twitter;
Mais parfois, mieux vaut renoncer
simplement au modèle proposé par les milliardaires:
ne croyez plus que toute votre communication puisse passer par
X-Twitter car l'éditeur omnipotent est Elon Musk, alors
pourquoi ne pas créer un blog ou un site internet plus
classique, dont vous serez l'éditeur en toute liberté, et où
les informations resteront disponibles pendant le temps que
vous le voudrez? Pouvez-vous diffuser vos informations dans
des journaux et sites internet locaux? Avez-vous la
possibilité de créer un nouveau média ou site internet
associatif, qui serait utile à beaucoup de monde?
Les alternatives low-tech
sont indispensables, dans tous les cas, et plus
encore lorsque la situation devient critique: face à la haine
diffusée sur X-Twitter, le meilleur antidote est de discuter
amicalement avec ses voisins, à la fois de sujets sérieux et
de questions légères ou quotidiennes. Même lorsque les
corrompus décideront d'éliminer les journalistes et les
créateurs de sites internet, ils auront encore du mal à vous
empêcher de parler à votre voisin (ceci existe dans certaines
dictatures, mais bien après l'élimination de tout média
indépendant).
Les alternatives high-tech
clandestines sont essentielles dans les régimes
totalement soumis au pouvoir corrompu et autoritaire, par
exemple en Russie et en Iran, mais peut-être bientôt aussi
dans l'Amérique de Donald Trump et Elon Musk. On parle de
sites internet hébergés à l'étranger et alimentés via des
canaux chiffrés, d'applications smartphone chiffrées
(protection irréaliste si l'État contrôle déjà l'éditeur du
système d'exploitation du smartphone!), etc... Mais de tels
outils sont complexes, et peuvent parfois être infiltrés par
l'État profond, surtout lorsqu'il est financé par le secteur
du numérique, avec le risque que l'ensemble des participants
soient identifiés, condamnés, et réduits au silence (ou pire).
Remarque de vocabulaire
Les premiers utilisateurs du terme “État profond” sont les
complotistes américains d'extrême-droite, dans le camp de Q-Anon
et de Donald Trump. Leur thèse, si on peut résumer leurs
accusations souvent incohérentes, sont que l'État est contrôlé en
sous-main par un groupe secret de juifs, de “démocrates” (à la
fois représentants du Parti Démocrate, et défenseurs des principes
de la démocratie), de pédophiles, etc... Du coup “le peuple” ne
pourrait plus faire entendre ses opinions.
Ces accusations se sont avérées prémonitoires, car c'était en
réalité ce que préparait l'aile d'extrême-droite du Parti
Républicain (précédemment nommée le “Tea Party”, et aujourd'hui
les “MAGA” pour “Make Americain Great Again”, c'est-à-dire le clan
de Donald Trump). Il n'y avait pas de complot juif, ni de complot
pédophile, mais un programme longuement planifié de prise totale
du pouvoir. Avec Donald Trump, le clan occupe la quasi-totalité
des pouvoirs, bien loin des idéaux des pères fondateurs des USA,
qui avaient organisé la dispersion du pouvoir entre de nombreuses
personnes restant peu de temps en place. Les parlementaires
Républicains sont sous la menace d'être privés de financement
s'ils déplaisent à Trump (et donc d'être inaudibles, puisque les
limites sur le financement des politiciens ont été supprimées) ou
même d'être incarcérés arbitrairement (menaces directes contre
Nancy Pelosi, coupable d'avoir respecté la loi contre le choix de
Donald Trump qui voulait se maintenir au pouvoir après avoir perdu
l'élection de 2020). La Cour Suprême, majoritairement trumpiste,
peut renverser toute jurisprudence, puisqu'elle est au-dessus de
l'ensemble des tribunaux du pays.
En résumé, comme dans beaucoup de cas de manipulation
psychologique, ce qui permettait aux accusateurs d'être aussi
précis, c'est qu'ils décrivaient leurs propres plans: l'État
profond, c'est eux.