L'Assemblée nationale française
issue des élections législatives de 2024 est proche de ce
qu'aurait donné une élection à la proportionnelle
Ils nous disent tous qu'ils veulent instaurer la proportionnelle
aux élections législatives,
“pour sauver la démocratie”, mais ils ne nous disent pas
tout.
Pourquoi le veulent-ils et cela sauverait-il la démocratie? C'est
l'objet de cet article.
En France, les élections législatives (qui élisent les députés
qui siègent à l'Assemblée Nationale) utilisent le
“scrutin uninominal à deux tours”: au 1er
tour, chaque électeur choisit un candidat parmi ceux qui se
présentent à lui, et au 2e tour, il tranche entre les
finalistes arrivés en tête. On
l'appelle aussi “scrutin majoritaire”
car ce système est octroie souvent une forte majorité à un parti,
et il est résumé par “au 1er
tour on choisit, au 2e on élimine”.
De nombreux politiciens exigent de le remplacer par le “scrutin
proportionnel” (dont il existe diverses
variantes), où l'électeur choisit un parti parmi ceux qui se
présentent à lui, et chaque parti obtient un nombre d'élus en
fonction de son score, choisis dans l'ordre indiqué par chaque
parti.
Il y a principalement 3 types de partis qui militent pour la
proportionnelle, avec divers arguments, mais toujours en espérant
obtenir ainsi plus d'élus:
Les partis nettement minoritaires (les Verts, le Modem) ou ayant un thème très restreint (le Parti Animaliste): comme ils obtiennent rarement la majorité au 2e tour, ils espèrent obtenir quelques élus grâce à la proportionnelle.
Les partis très détestés à
cause de leurs positions clivantes (la France Insoumise, le
Front National): ils sont éliminés au 2e
tour par les d'électeurs qui les jugent dangereux et leur
préfèrent un candidat plus modéré. On parle de “front républicain”
lorsqu'un candidat d'extrême-droite est ainsi éliminé au 2e
tour. Ces partis espèrent obtenir plus d'élus avec la
proportionnelle, ou tout autre scrutin à un seul tour (comme
la présidentielle américaine), qui empêcherait les électeurs
de les éliminer au 2e tour. À noter qu'en 2025,
pour mieux profiter de ses scores assez élevés sans avoir à
subir le 2e tour, le FN réclame un scrutin
proportionnel avec “prime majoritaire” pour la liste arrivée
en tête.
Les partis qui disent qu'il faut “faire autrement”: il est fréquent de vouloir résoudre toutes sortes de difficultés par une réforme des institutions ou une réécriture de la Constitution, ce qui peut conduire à proposer une infinité de systèmes électoraux farfelus prétendument “plus démocratiques”. Un exemple frappant est le mode de scrutin australien, d'une complexité affolante, mais instauré en réalité par un parti qui en espérait un bénéfice électoral.
L'omnipotence des apparatchiks: les chefs de partis désignent la liste des candidats, ils peuvent éliminer toute voix dissidente en ne les présentant pas sur la liste ou alors à un rang non éligible, et ils peuvent se mettre en tête de liste pour être certains d'être élus.
La prime aux partis les plus clivants: en l'absence de 2e tour, ils n'ont rien à craindre de la détestation qu'ils suscitent chez beaucoup d'électeurs.
L'émiettement des forces politiques et le risque de blocage: faute d'incitation à former des coalitions en vue des élections, on peut voir une multiplication des listes candidates et des groupes représentés, ce qui peut rendre le pays ingouvernable si chacun impose des “lignes rouges” incompatibles avec celles des autres.
Le pouvoir démesuré des
partis extrémistes ou opportunistes: dans ce paysage
très émietté, de petits partis peuvent exiger des privilèges
exorbitants pour eux-mêmes ou pour certains de leurs électeurs
en échange de leur soutien à une majorité, sans droit de
regard ou recours pour les électeurs.
Un mode de scrutin peut
difficilement être qualifié de “plus démocratique” qu'un autre, à partir du
moment où il est ouvert, équitable et transparent.
On dit souvent que le scrutin proportionnel permet à chaque tendance politique d'être représentée. Ceci est à relativiser car la plupart des électeurs ont diverses opinions selon les sujets et le parti qu'ils choisissent ne défend qu'une partie de leurs opinions.
Généralement, le scrutin proportionnel aboutit à une représentation plus fractionnée.
Il existe toutefois de nombreuses
variantes du scrutin proportionnel, dont certaines aboutissent à une
représentation très concentrée:
Cette affirmation souvent entendue est motivée principalement par
la comparaison avec l'Allemagne:
Mais ces différences ne proviennent pas uniquement du mode de
scrutin. Par exemple, entre l'Allemagne et la France:
Il est indéniable que l'émiettement des forces politiques impose
des coalitions de gouvernement (à moins de rester sur un blocage):
le scrutin proportionnel (sans prime majoritaire) permet rarement
à un seul parti d'obtenir la majorité absolue.
Mais dans bien des cas, il est difficile de parler de “consensus” car il s'agit plutôt d'un diktat imposé par des partis en échange de leur participation à une majorité de gouvernement. On peut citer ainsi:
Il est vrai que dans le scrutin “majoritaire”, l'électeur est souvent frustré:
Pourtant, la situation n'est pas meilleure avec le scrutin
proportionnel:
Cette question est extrêmement étrange, car le FN est un parti
parmi tant d'autres, et aucun principe fondamental n'est censé lui
interdire d'être majoritaire, ni lui garantir d'avoir beaucoup
d'élus, ni de pas avoir de concurrents dans son propre camp.
Pas forcément: aujourd'hui que le FN s'est renforcé et fortement implanté à certains endroits, il peut obtenir des scores élevés même avec le scrutin “majoritaire”, et la proportionnelle l'exposerait à une concurrence dangereuse, par exemple celle d'une extrême-droite plus bourgeoise et catholique (Éric Zemmour), de divers groupuscules complotistes, ou de nationalistes atlantistes et anti-Poutine (comme en Italie, le parti Fratelli d'Italia de Giorgia Meloni), alors qu'aujourd'hui toutes ces tendances votent pour le FN à cause du vote utile.
Oui malgré tout: la proportionnelle (et tout autre scrutin à un seul tour) reste très favorable aux partis les plus clivants, puisqu'elle interdit aux électeurs de “voter pour le moins pire”, et d'éliminer au 2e tour les candidats qu'ils détestent. Dans ce sens, la proportionnelle bénéficierait bien au FN ou à d'autres partis d'extrême-droite pro-russes, mais aussi à LFI et à d'autres partis populistes et très loin de chercher l'efficacité et la paix civile dans le pays.
Oui énormément, avec le mode de scrutin qu'il réclame: la proportionnelle à 1 tour avec prime pour la liste arrivée en tête. Dans un tel système, particulièrement injuste pour les électeurs, le FN profiterait à fond de la concentration des votes d'extrême-droite (contrairement aux autres camps, bien plus divisés), tout en évitant un 2e tour qui permettraient aux électeurs de bloquer l'arrivée de l'extrême-droite au pouvoir.
Malgré toutes les promesses, le scrutin proportionnel n'est pas
plus “démocratique” que le scrutin uninominal à deux tours. En
fait, il n'est défendu que par les partis qui en espèrent un
bénéfice: les petits partis, et les partis tellement clivants
qu'ils sont régulièrement battus au 2e tour.
Il faut regarder dans le détail pour savoir de quoi on parle,
certaines formes de scrutin “proportionnel” aboutissant en réalité
à une très forte concentration du pouvoir. Dans le cas du scrutin
proportionnel généralement évoqué pour les législatives (à un tour
et permettant la représentation d'un nombre important de partis),
le résultat est un émiettement pouvant aboutir au blocage d'un
pays, d'autant plus que ce scrutin aboutit à des positions plus
clivantes, sous la tutelle de chefs de partis omnipotents.
La question de savoir si cela bénéficierait ou non au FN n'est en
rien un argument pour ou contre la proportionnelle: ce parti,
comme les autres, a le droit d'être élu aux élections, mais n'a
aucun droit à échapper à la sanction des électeurs qui le
détestent. Du reste, son utilité pour le FN est incertaine: d'un
côté la proportionnelle lui bénéficierait parce que c'est un parti
clivant et détesté par beaucoup d'électeurs, mais d'un autre elle
lui nuirait en favorisant des partis émergents d'extrême-droite
qui lui seraient très hostiles, comme on le voit au Parlement
Européen. Le FN bénéficierait par contre énormément du mode de
scrutin sur mesure qu'il réclame: la proportionnelle à 1 tour avec
prime pour la liste arrivée en tête.
Contrairement à ce qu'on affirme parfois, la proportionnelle ne
favorise nullement la création d'un consensus ou d'un compromis à
l'Assemblée, comme l'illustre la situation à l'Assemblée Nationale
au 2e semestre 2024 (avec une répartition similaire au
résultat d'une élection à la proportionnelle).
Au final, l'élection à la proportionnelle offre peu de vrais
avantages, et a trois défauts très importants:
La France est habituée au
scrutin uninominal à deux tours, c'est un mode de scrutin
équilibré et relativement robuste face au populisme:
tenons-nous-y donc!
N'adoptons pas le mode de
scrutin proportionnel qui pose aujourd'hui tant de problèmes
dans d'autres pays, à l'ère du populisme et des candidats
poussés par le pouvoir de l'argent (comme X/Twitter de Musk à la
présidentielle américaine de 2024, ou le groupe Bolloré en
France) et les ingérences étrangères grâce aux fermes à trolls
et à l'IA générative.