La pédophilie existe de toute éternité, mais elle est souvent discrète car presque cantonnée dans des milieux fermés où les enfants devraient se trouver en sécurité: très majoritairement, c'est dans la famille que se produisent les faits (avec le père, le beau-père, l'oncle...). Des faits se produisent aussi dans des pensionnats religieux (le phénomène a été massif dans les pensionnats catholiques du monde entier et n'a été mis sur la place publique que récemment), dans des clubs de sport (de plus en plus sensibilisés à la question), et bien entendu dans des sectes.
Il y a eu, selon les époques, une plus ou moins grande complaisance. Les textes grecs anciens évoquaient sans problème des relations entre des hommes d'âge mûr et de jeunes adolescents. Certains textes publiés peu après 1968 choquent quand on les lit aujourd'hui. Longtemps, les actes pédophiles commis dans la famille (les plus nombreux) n'étaient jamais dénoncés car la famille en avait honte, ne pouvait pas matériellement envisager une séparation, et préférait sauver les apparences. Ceux impliquant des hommes d'église étaient passés sous silence car c'était des hommes respectés, et l'Église faisait tout pour étouffer les affaires, en déplaçant discrètement les pédophiles vers des endroits où ils n'étaient pas encore connus.
Aujourd'hui, et il faut s'en réjouir, il n'y a plus de tabou et
les actes pédophiles sont couramment dénoncés, discutés sur la
place publique, et très lourdement sanctionnés, avec bien entendu
une gradation en fonction de la gravité des faits. Voici un
exemple des peines encourues dans le cas où l'auteur a au moins 5
ans de plus que la victime (elles peuvent être fortement
augmentées en cas de facteurs aggravants tels que la menace avec
arme, l'acte commis en groupe ou l'utilisation d'internet):
Il est même arrivé, malheureusement, que la présomption
d'innocence soit bafouée, et qu'on n'autorise pas les accusés à se
défendre: c'est ce qui est arrivé dans l'affaire d'Outreau, où une quinzaine de
personnes ont été accusées à tort d'actes pédophiles épouvantables
et ont passé des années en prison. Elles n'ont pas pu se défendre
car les policiers et les juges refusaient de les écouter, les
avocats refusaient de les défendre, et la presse les avait
condamnées d'avance. En réalité, il n'y avait que 2 coupables,
tous les autres ont été accusés à tort.
Au XIIe siècle, on ne s'inquiétait probablement pas de
la pédophilie dans son sens actuel: ce qui se passait dans une
maison était sous la responsabilité du père de famille: “charbonnier est maître chez lui”,
et il ne fallait pas en parler à l'extérieur.
Mais on s'inquiétait de la sécurité des enfants, et de puissants
mouvements anti-juifs propageaient une rumeur glaçante: les juifs
voleraient et assassineraient des enfants chrétiens pour utiliser
leur sang dans des meurtres rituels.
Inutile de préciser que ces accusations sont mensongères et
fantaisistes: ces prétendus “meurtres rituels” n'ont jamais
existé, et ont d'autant moins de raisons d'exister que le sang est
jugé impur par la tradition juive: le sang se conserve mal,
surtout dans des pays chauds avant l'invention du réfrigérateur,
et la Torah (la Bible, pour les chrétiens) exige de saigner le
bétail au moment de la mise à mort et interdit d'en consommer le
sang; cette règle est d'ailleurs également respectée par les
musulmans, tandis que les chrétiens saignent également le bétail
au moment de la mise à mort mais peuvent utiliser le sang pour
fabriquer du boudin, pour clarifier le vin (jusqu'en 1997) ou pour
d'autres usages.
Ces accusations fantaisistes ont perduré depuis le XIIe
siècle et ont donné lieu à de nombreux pogroms (massacres de
juifs, motivés par la haine anti-juifs), tout au long du
Moyen-Âge, de la Renaissance, du XIXe et du XXe
siècles avec les discours racistes liés au nazisme, et jusqu'à
aujourd'hui, où on retrouve couramment ce discours dans des
publications d'extrême-droite, et dans des pays très anti-juifs
comme la Russie, la Hongrie, ou l'Iran.
Ces mensonges habituellement confinés à la sous-culture
d'extrême-droite sont apparus au grand jour au Parlement russe (la
Douma), en 2005, lorsque 19 députés ont demandé l'interdiction de
toutes les organisations juives, en accusant entre autres les
juifs de pratiquer des meurtres rituels. Il s'agissait de 15
députés de Rodina (“La Patrie”, un parti lié à Vladimir Poutine)
et de 4 députés communistes. Lire l'information dans Le Monde (payant) ou dans Courrier International (succinct).
En Occident, ces accusations mensongères sont plus rarement
énoncées au grand jour de façon aussi explicite, car
l'anti-judaïsme y est mal vu et l'accusation provoquerait de vives
réactions (dont une réaction pénale), mais conformément aux usages
en vigueur à l'extrême-droite, elle y est suggérée par des
périphrases telles que “élites
apatrides”, “élites
mondialisées”, ou “finance
cosmopolite” (car pour l'extrême-droite, les juifs sont
riches et puissants, forcément banquiers, et traditionnellement
dispersés dans le monde entier), “George Soros” (milliardaire américain d'origine
hongroise, juif rescapé du nazisme, et bouc émissaire de
l'extrême-droite du monde entier), et depuis 2021 la question “Qui?” (présente sur des
pancartes de manifestants anti-vaccination et/ou organisés par le
mouvement catholique intégriste et anti-juif “Civitas”). Pour un
public d'extrême-droite, il est évident que ces termes accusent
les juifs, mais devant un tribunal les auteurs le nieraient.
La pédophilie étant aujourd'hui considérée comme l'un des pires
crimes, l'accusation de vol et de meurtre rituel d'enfants
(difficile à croire en l'absence de victimes) a été mise à jour en
accusation de pédophilie, mais aussi d'empoisonnement,
d'endoctrinement, ou autre.
Le site internet “4chan” était initialement un site d'échange
d'images. On peut également y échanger des textes, et le manque de
modération fait qu'on y trouve toute sorte de contenu douteux,
dont des échanges entre “célibataires
involontaires” (des jeunes hommes frustrés du sexe,
appelant à la haine contre les femmes, mouvement qui a donné lieu
à des tueries de masse en Amérique du Nord), des appels à la haine
et au meurtre, du racisme et du sexisme, et aussi de la
pédophilie. En cas de critique, la réponse est que “c'est de l'humour”.
Sur ce site “4chan”, vers 2017, un contributeur anonyme
apparaissant comme “Q” (d'où le nom QAnon) a commencé à raconter
des histoires imaginaires, qui ont eu un grand succès et sont
devenu un véritable mouvement sectaire, le nom “QAnon” désignant
maintenant tout le mouvement et plus simplement un contributeur.
Ces messages ont pris une importance considérable dans la
politique américaine car ils ont été diffusés à grande échelle par
la propagande russe, au service de Vladimir Poutine, pour
provoquer la victoire de Donald Trump à la présidentielle
américaine de 2018. En 2023, les partisans de Trump sont encore
dans une large mesure des adeptes du mouvement QAnon.
Le cœur du message de QAnon est d'accuser une élite corrompue,
baptisée Deep State (“État profond”), de contrôler les USA contre
les choix des citoyens. Les boucs émissaires sont principalement
les dirigeants du Parti Démocratique et particulièrement Hillary
Clinton et Barack Obama, des juifs comme George Soros, des stars
de Hollywood, et l'administration fédérale américaine
(“Washington”). Les prétendues victimes du complot seraient Donald
Trump et ses proches.
Les accusations de QAnon reprennent largement les mensonges du
“meurtre rituel” par les juifs: les démocrates sont accusés de
voler des enfants, de les violer et de les saigner, prétendument
pour rester jeune en utilisant une molécule, l'adrénochrome,
soi-disant extraite du sang des enfants. Cette histoire
d'adrénochrome est dénuée de tout fondement scientifique: cette
molécule est synthétisée en laboratoire, elle n'est pas extraite
du sang humain, et elle n'est pas un élixir de jouvence.
QAnon s'est également appuyé sur la théorie, déjà popularisée peu
avant, du “pizzagate”. Il s'agit d'accusations imaginaires basées
sur une interprétation très imaginative de mails volés à un proche
de la candidate démocrate Hillary Clinton (une fuite, largement
diffusés par la propagande russe, qui ressemble à l'opération
“Macron-leaks” survenue à la veille de l'élection présidentielle
française de 2017 mais qui a eu infiniment plus de retentissements
politiques). Dans ces mails, on pouvait lire que les dirigeants du
Parti Démocrate se réunissaient dans une pizzeria de la capitale
fédérale (Washington D.C.) et y commandaient différentes sortes de
pizzas. Les différents mots utilisés pour commander à manger
(comme “pizza”, “fromage”, “hot-dog”) ont été interprétés comme un
langage codé pour désigner des enfants et des pratiques
pédophiles, et la pizzeria elle-même a été pointée du doigt comme
un lieu de pratiques pédophiles et satanistes. Les accusateurs ont
alors parlé de “pizzagate”, selon l'usage américain qui veut qu'on
désigne chaque scandale réel ou supposé par un mot suivi par
“gate”, depuis le scandale de l'immeuble Watergate en 1974.
L'affaire “pizzagate” a atteint son paroxysme le 4 décembre 2016,
quand un homme armé d'un fusil d'assaut s'est rendu dans la
pizzeria pour exiger la libération des enfants esclaves sexuels
séquestrés dans la cave. Il a été bien forcé de constater qu'il
n'y avait pas d'enfants séquestrés dans cette pizzeria, qui au
demeurant ne comportait pas de cave.
Comme souvent dans ce type de théorie, la démonstration de son
caractère mensonger n'y met pas un terme: ceux qui y voulaient
encore y croire ont accusé l'homme armé d'avoir joué un rôle au
service du Parti Démocrate, et lui-même a affirmé qu'il n'a rien
vu mais que cela ne prouvait pas que ce soit faux.
C'est donc cette accusation démentie par les faits que QAnon,
avec l'aide des Russes, propagera très efficacement, au point de
convaincre beaucoup d'Américains que le Parti Démocrate et “les
élites de Washington” sont des pédophiles.
L'influence des réseaux sociaux américains et des trolls russes
étant ce qu'elle est, ces accusations mensongères seront également
importées en France, de façon souvent vague: “«Ils» sont pédophiles”.
Lorsque les vaccins efficaces contre le Covid-19 sont sortis, le
mouvement anti-vax s'est mobilisé à fond, et s'est largement basé
sur un discours attisant la crainte des parents: qu'on allait
imposer la vaccination aux enfants dans les écoles, etc...
Ce discours reprend les discours sur les dangers de l'école,
repris par la secte de l'anthroposophie (à la tête des “écoles
Steiner”), et par tout le mouvement pour l'éducation à domicile
loin des influences jugées désastreuses de l'école.
Ce discours de dénigrement de l'école a également pu s'appuyer sur des rumeurs infondées sur une soi-disant pédophilie dans l'école, et donc les renforcer. Les mouvements en cause sont notamment Civitas (catholiques intégristes, anti-juifs et anti-démocratie) et des musulmans intégristes (alliés pour l'occasion à Civitas qui est extrêmement hostile aux musulmans). Les dénonciations tournent autour de l'éducation sexuelle, qui est pourtant très ancienne et extrêmement prudente. Ces mouvements religieux accusent mensongèrement l'Éducation Nationale de donner des cours de masturbation à l'école et d'autres choses tout aussi farfelues, et appellent les parents à retirer les enfants de l'école (c'est la “Journée du Retrait de l'École”).
Des mouvements similaires existent aux USA, plutôt sous le
contrôle de protestants évangéliques, qui veulent imposer leurs
croyances aux écoles publiques: interdiction de l'éducation
sexuelle, interdiction de mentionner la contraception,
interdiction de très nombreux livres et romans, avec toujours
l'objectif d'interdire l'enseignement de l'évolution des espèces
et de remplacer la biologie par l'enseignement de la création du
monde par Dieu (rebaptisé en “créateur intelligent”, vu que les
USA interdisent aux religions de contrôler les programmes
scolaires).
En conclusion, on a bien raison, actuellement, de sanctionner fermement les actes pédophiles. Sous réserve, bien sûr, de respecter les droits de la défense, ce qui avait été négligé dans la terrible “affaire d'Outreau”.
Mais ceci ne doit pas conduire à la naïveté: les mouvements qui
dénoncent le plus vivement une prétendue pédophilie généralisée
dans “les élites” sont le plus souvent des menteurs qui cherchent
ainsi à provoquer la panique et la haine des parents, afin de les
attirer dans leurs filets, pour les piéger dans un mouvement
sectaire, dans un combat contre un adversaire politique, ou dans
un discours raciste, en particulier contre les juifs (car
l'accusation mensongères des “meurtres rituels” a beau avoir été
inventée au XIIe siècle et avoir été démentie pendant
900 ans, elle continue à être populaire à l'extrême-droite
anti-juifs).