Ils nous disent que le jeûne va nous soigner du cancer,
du diabète, de l'obésité, et de toutes les autres maladies qui
affectent l'humanité. Peut-on réellement en attendre de tels
bénéfices?
Le jeûne: simple et
économique! Est-il sûr et utile?
Une centaine d'adeptes définitivement “guéris” au Kenya
Le jeûne total permet de guérir définitivement la totalité des
maladies, y compris la vie elle-même: c'est ce qu'on découvre à la
lecture d'un article du Figaro du 26 avril 2023.
L'affaire a fait beaucoup de bruit dans le monde entier: Paul
Makenzie Nthenge, un ancien chauffeur de taxi devenu le gourou d'une
secte nommée “Église Internationale de Bonne Nouvelle” (en
anglais “Good News International Church”), qui compterait
3000 adeptes dans l'ensemble du Kenya, a poussé ses adeptes à jeûner
jusqu'à la mort afin de “rencontrer Jésus”, en prévision de
la fin du monde prévue pour juin 2023 et du deuxième passage de
Jésus.
Le Figaro rapporte cette belle promesse indiquée sur le site
internet de la secte: “La mission de ce ministère est de nourrir
les fidèles de manière holistique dans tous les domaines de la
spiritualité chrétienne alors que nous nous préparons à la seconde
venue de Jésus-Christ par l'enseignement et l'évangélisation”.
Cette “nourriture holistique” a eu l'effet de “guérir” radicalement
plus d'une centaine d'adeptes, qui ne souffriront plus d'aucune
maladie puisqu'ils en sont morts.
Toutefois le gourou lui-même n'est pas mort, son projet n'ayant
malencontreusement pas pu se dérouler jusqu'à la fin: le plan
prévoyait d'abord la mort des enfants et des célibataires, puis
celle des parents, tandis que la mort du gourou ne devait survenir
que tout à la fin. Quel dommage que l'infinie générosité de ce
gourou l'ait empêché de bénéficier en avant-première de la
“guérison” qu'il promettait à l'ensemble de ses adeptes!
En France même, plusieurs gourous ou “thérapeutes” ont
également été poursuivis suite à la mort de leurs adeptes, qu'ils
poussaient à pratiquer le jeûne et/ou le crudivorisme, lors de
stages aussi coûteux que peu caloriques. En mars 2023, on a appris la mise en examen et l'interpellation de Thierry
Casasnovas par le procureur de Perpignan: Casasnovas, 48
ans, militant antivax connu, avait une chaîne YouTube avec 841
vidéos et 593 000 abonnés, et il prônait le jeûne à des patients
cancéreux ou diabétiques, qu'il dissuadait de prendre leurs
médicaments. Thierry Casasnovas a été qualifié de “dérapeute”
(un “thérapeute” autoproclamé qui dérape) par la Miviludes
(Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les
dérives sectaires). Un article du Parisien raconte l'expérience de
Dominique, devenue décharnée en suivant les conseils de Casasnovas,
à qui on expliquait que ses symptômes alarmants étaient le signe
normal de la “détox” (prétendument l'expulsion de produits
toxiques par le corps), et le même article rapporte des expériences
de deux personnes ayant suivi les conseils d'autres structures
nommées “PranaHvital” ou “L'Oasis de
Lentiourel”: l'une en est morte, l'autre en est devenue
boulimique (sans guérir de la maladie qui avait motivé son stage).
Une dépêche de l'AFP publié par Paris-Match nous
apprend aussi la mise en examen d'Éric Gandon, 58 ans, et de
son fils, suite à plusieurs décès provoqués par des cures de
jeûne et de “cures hydriques”. Toutes les personnes et
structures citées sont présumées innocentes tant qu'elles n'ont
pas été condamnées.
Et si on ne jeûne pas jusqu'à la mort, que peut-on en espérer?
Heureusement, tous les partisans du jeûne ne conseillent pas de
jeûner jusqu'à la mort, et ils font des promesses variées, discutées
ci-après.
“Le jeûne est naturel, le corps est conçu pour cela”
Il est indéniable que le corps humain est prévu pour résister à la
privation de nourriture: il est capable de stocker de l'énergie à
court terme dans le foie, à plus long terme dans les tissus adipeux,
et même de “manger” ses propres muscles pour répondre à ses besoins
en protéines.
Cet argument est insuffisant pour affirmer que le jeûne soit
bénéfique: après tout, la cicatrisation des plaies est également une
réaction naturelle du corps, sans qu'il ne soit bénéfique ni même
toujours anodin d'avoir une blessure ou une infection. Et si une
personne âgée a perdu ses muscles suite à un jeûne prolongé, il lui
sera ensuite difficile de les reconstituer.
Au minimum, on sait qu'il y a des personnes qui ne doivent pas
pratiquer le jeûne, car leurs mécanismes de résistance à la
privation de nourriture ne fonctionneraient pas correctement:
Les personnes très maigres, qui n'ont pas suffisamment de
réserves pour supporter un jeûne, par exemple certains malades
du cancer.
Les diabétiques de type I: ils ne produisent pas l'insuline
qui permet normalement au foie de stocker et libérer le glucose.
Les femmes enceintes ou allaitantes: leur bébé a besoin de
nourriture.
Les personnes souffrant de troubles du comportement
alimentaire, par exemple la boulimie ou l'anorexie mentale.
Chez les personnes en bonne santé, le jeûne court est peu dangereux
(après avis médical), mais le jeûne prolongé l'est beaucoup plus.
Le jeûne dans un but religieux
Beaucoup de religions prônent le jeûne, au moment à certains
moments. Les religions qui survivent sont celles dont les adeptes ne
pratiquent toutefois pas le jeûne jusqu'à en mourir.
Chez les catholiques, il fallait traditionnellement rester à jeûn
avant d'aller à la messe, mais cette règle est aujourd'hui réduite
au point d'avoir pratiquement disparu.
Chez les chrétiens orthodoxes, la règle reste vivace, mais il s'agit
de jeûnes qui ne durent que quelques heures, ou de la privation de
certains aliments particulièrement riches (comme la viande), sans
que cela ne pose de problème pour la santé.
Chez les musulmans, le jeûne en journée pendant le mois du Ramadan
est souvent pratiqué, mais il n'est pas imposé aux malades ni aux
femmes enceintes. Il n'y a pas de restriction alimentaire, puisqu'il
est autorisé de manger après le coucher du soleil et avant le lever
du soleil. Dans les pays chauds ou pour certains métiers, la
privation de boisson (même de l'eau) peut être dangereuse. Le
Ramadan est accompagné de repas festifs le soir, et il n'est pas
étonnant que la combinaison entre une moindre activité en journée,
un repas très riche le soir, et une réduction du temps de sommeil,
conduisent souvent les pratiquants à grossir pendant le mois de
jeûne.
Le jeûne intermittent pour maigrir et être en forme
Le “jeûne intermittent” est une pratique à la mode, consistant à se
priver de nourriture pendant une durée plus longue que ce que l'on
fait naturellement (c'est-à-dire plus longue que la période entre le
repas du soir et le petit-déjeuner). Par exemple une personne qui
prendrait son dernier repas de la journée pour le goûter, à 17h, et
qui déjeunerait le matin à 7h, pratiquerait un jeûne de 14 heures.
Ce court jeûne peut être répété chaque jour, ou seulement certains
jours dans la semaine.
La justification invoquée est souvent que ceci force l'organisme à
piocher dans ses réserves de tissus adipeux. On entend également que
pendant la période de jeûne, les éventuelles cellules cancéreuses,
grosses consommatrices d'énergie, souffriraient et auraient du mal à
se développer. Ces justifications ne sont pas démontrées.
Le “jeûne intermittent” fait l'objet de nombreuses recherches
médicales, et si on peut en faire un résumé:
Un “jeûne intermittent” consistant à se priver du
petit-déjeuner est malsain: prendre un repas lourd peu avant de
se coucher est associé à divers troubles qui vont à l'encontre
des buts recherchés.
Un “jeûne intermittent” consistant à se priver du repas du
soir, certains jours de la semaine, est associé à un bénéfice
significatif pour la santé, du moins pendant la durée des études
(quelques mois).
En pratique, il est souvent difficile de pratiquer le “jeûne
intermittent” pendant longtemps, comme pour les autres types de
restriction alimentaire. Le retentissement social est également
souvent excessif: les personnes ne souhaitent pas se priver d'un
repas le soir avec leurs amis.
La crainte principale est de favoriser l'apparition d'un
trouble du comportement alimentaire, tel que l'anorexie ou la
boulimie. On a également cité le cas de personnes qui, pour
respecter leur “jeûne intermittent”, prenaient des somnifères
pour ne pas être tentées de manger le soir: ce type de dérive
est bien plus nocif que le bénéfice attendu du jeûne
intermittent.
Il est donc possible que le jeûne intermittent, dans sa variante
supprimant le repas du soir, ait un intérêt médical pour éviter
l'obésité, le diabète de type II, l'excès de triglycérides (graisses
dans le sang), et le syndrome métabolique, mais ce bénéfice reste à
démontrer sur le long terme, surtout vis-à-vis des risques de
troubles du comportement alimentaire, et de la difficulté à
maintenir ce rythme alimentaire.
Le jeûne contre le cancer
Il faut rappeler que quiconque vous incite à jeûner et à arrêter des
traitements contre le cancer est un charlatan dangereux: la première
chose à faire en cas de cancer est de respecter les traitements
prescrits par les médecins, et c'est à eux de les réévaluer en cas
de besoin.
Il y a des gourous qui attirent des patients cancéreux et leur
promettent une guérison miraculeuse, y compris lorsque le cancer
s'aggrave, par exemple lorsqu'une tumeur cancéreuse devient grosse
au point d'éclater à la surface de la peau: “C'est bien, votre
corps élimine le mal!”. Ils mentent: en réalité, si la tumeur
grossit, c'est que le cancer s'aggrave, et si elle éclate, c'est que
les cellules cancéreuses se dispersent dans l'ensemble du corps, ce
qui est très défavorable.
L'utilité d'un jeûne intermittent ou d'une cure de jeûne (plus
longue) pour prévenir ou soigner un cancer semble actuellement non
démontrée, et c'est certainement inapproprié pour des personnes qui
sont déjà trop maigres.
Un jeûne partiel (réduction alimentaire) a été étudié pour améliorer
l'efficacité d'un traitement par chimiothérapie. Certains résultats
prometteurs ont été obtenus, mais d'autres résultats ont donné des
résultats contraires. Pour l'instant, il n'y a donc rien de
démontré.
Conclusion
Même si le jeûne est naturel et souvent sans risques, prenez garde
aux menteurs et aux gourous:
De nombreux gourous, dont certains avec beaucoup d'adeptes,
sont prêts à laisser mourir de faim les personnes qui viennent
faire un “stage de jeûne”, prétendument “encadré”,
moyennant un gros paquet d'argent: ils vous mentent!
Le jeûne est dangereux pour les personnes qui ne sont pas
aptes à le supporter (trop maigres, anorexiques, diabétiques de
type I,...).
Le jeûne tel que prôné par certaines grandes religions est
généralement moins dangereux, mais il n'est pas raisonnable de
rester sans boire une goutte d'eau de la journée s'il fait très
chaud ou si on travaille en plein soleil, ni très sain de manger
lourdement le soir et de dormir peu pendant un mois entier.
Le “jeûne intermittent” peut avoir un intérêt, à
condition qu'il consiste à se priver du repas du soir, mais il
est difficile à tenir sur la durée, et on peut craindre qu'il
favorise des troubles du comportement alimentaire.
L'utilité du jeûne ou de la restriction alimentaire dans le
cadre du traitement contre le cancer reste à démontrer. Dans
tous les cas, le jeûne ne peut en aucun cas remplacer les
traitements et médicaments prescrits contre le cancer.
Post Scriptum
Selon Le Figaro (article du 2 août 2023 mis à jour le 3
août), l'influenceuse russe Zhanna Samsonova, qui se faisait
appeler Zhanna D'Art, est morte de faim le 21 juillet 2023 (mais
peut-être également d'une infection contre laquelle son organisme
affaibli n'aurait pas pu résister), après avoir dramatiquement
maigri. Elle s'imposait un régime guère moins sévère que le jeûne
total, puisqu'elle disait ne se nourrir que d'aliments crus,
principalement des fruits et des graines, et disait aussi ne plus
boire d'eau depuis 6 ans, les fruits contenant de l'eau. Elle avait
20.000 suiveurs sur Instagram.