Ils nous disent que Joe Biden n'a gagné l'élection
présidentielle américaine de 2020 face à Donald Trump que grâce à
une fraude massive au moyen des machines de vote électronique et du
vote par correspondance. Est-ce vrai et peut-on réellement faire
confiance aux machines de vote électronique?
Fausse publicité affichant un
faux logo de l'entreprise Dominion Voting (machines de vote
électronique), préalablement diffusé sur les réseaux
sociaux, et l'accusant, sans preuves, d'organiser la
fraude électorale en comptant un bulletin bleu (Parti
Démocrate: Joe Biden) quand l'électeur a en réalité voté le
bulletin rouge (Parti Républicain: Donald Trump).
Traduction: “Nous promettons de faire semblant
de compter vos votes / Vous n'avez qu'à promettre de faire
semblant de voter / Dominion Voting: faire croire que les gens
votent”
Les machines de vote électronique aux USA
Lors des élections, les électeurs américains doivent répondre à de
très nombreuses questions: à côté du vote pour le grand électeur
d'un candidat à la présidentielle, ils votent pour les députés, les
sénateurs, le gouverneur de leur État, pour une multitude de
responsables d'administrations (Finances, Justice, Éducation,
Agriculture,...), et pour de nombreux référendums sur des questions
locales.
La difficulté à dépouiller tous ces votes a poussé les Américains,
depuis très longtemps, à automatiser le processus de dépouillement,
au moyen de machines à voter basées sur des cartes perforées, des
machines pneumatiques, et des compteurs mécaniques. Ces machines,
complexes et fragiles, ont vieilli et ont posé des problèmes,
obligeant parfois à recompter manuellement tous les votes et à
décider à partir de quel moment une case est considérée “perforée”,
problème qui est arrivé à son comble lors de l'élection
présidentielle de 2000 entre George W. Bush et Al Gore.
Par la suite, ces vieilles machines ont été éliminées et souvent
remplacées par des machines de vote électronique, techniquement
moins fragiles mais suscitant plus d'inquiétudes.
Le vote par correspondance aux USA
Le vote anticipé par correspondance, qui n'existe pas en France
(seul le vote par procuration existe), existe dans de nombreux pays
et est une pratique très courante aux USA. Il répond à plusieurs
contraintes:
La complexité du vote pousse certains électeurs à préférer
faire leurs choix depuis chez eux.
Les élections américaines ont lieu en semaine (un mardi), où
beaucoup d'électeurs sont au travail. Les employeurs ont
l'obligation de permettre à leurs salariés de s'absenter pour
aller voter, mais la réalité du monde du travail américain fait
qu'en pratique certains travailleurs modestes ne peuvent pas
s'absenter sans risquer de perdre leur emploi.
Les États dirigés par le Parti Républicain ont travaillé à
rendre difficile le vote des groupes qui leur sont défavorables
(noirs, hispaniques), en réduisant le nombre de bureaux de vote
dans les secteurs où ils sont nombreux. Le temps de trajet pour
aller voter devient très long, et les files d'attente au bureau
de vote peuvent durer des heures. Ils peuvent aussi exiger des
documents dont les électeurs les plus populaires ne disposent
pas toujours, comme le permis de conduire.
Toutes ces raisons aboutissent à une pratique très importante du
vote anticipé par correspondance aux USA, plus particulièrement par
les électeurs issus de zones pauvres (et favorables au Parti
Démocrate) dans des États dirigés par le Parti Républicain. Le
résultat est que le vote correspondance, souvent dépouillé après le
vote en personne, fait souvent pencher la balance du côté démocrate
alors que le vote en personne avait donné une majorité républicaine.
Cette divergence entre les résultats du vote par correspondance et
le résultat du vote en personne a amené Donald Trump (Parti
Républicain) à accuser le vote par correspondance de donner lieu à
des fraudes au profit du Parti Démocrate de Joe Biden.
Quelle confiance peut-on accorder aux machines de vote
électronique?
Le cœur du problème est là: on ne peut accorder à ces machines, au
mieux, que la confiance que l'on accorde à leur constructeur.
Dans le cas des machines mécaniques, on pouvait considérer qu'un
expert en mécanique pouvait étudier la machine et indiquer si elle
fonctionne de façon sincère, même si la complexité des machines
rendait cet espoir un peu théorique.
Mais dans le cas des machines électroniques, il est fondamentalement
impossible pour un expert de certifier qu'une machine fonctionne
comme elle le devrait.
Plusieurs solutions ont été envisagées pour certifier, de
l'extérieur, le fonctionnement des machines de vote électronique:
Publier le vote de chaque électeur: ceci lui permet de
vérifier la bonne prise en compte de son vote. Mais si ce
système donne entière satisfaction à l'Assemblée Nationale, il
est incompatible avec l'anonymat, qui est une exigence
essentielle du scrutin populaire.
Imprimer un ticket, que l'électeur voit sortir derrière
une vitre, et qui tombe dans une urne, afin de permettre le
recomptage manuel. Ce système, en apparence satisfaisant, pose
trois problèmes:
Si la machine est frauduleuse, l'électeur qui voit
s'imprimer un ticket en contradiction avec son choix ne peut
pas corriger cette erreur, il ne peut que signaler qu'il y a
une erreur, sans pouvoir dévoiler la nature de l'erreur ni
prouver la réalité de ses affirmations.
Si l'électeur est tricheur et prétend à tort que la machine
n'a pas imprimé un ticket correspondant à son choix, il peut
faire croire à une fraude qui n'existe pas en réalité.
Si un candidat conteste le résultat (ce qui peut arriver à
chaque élection ou presque), il faut recompter les bulletins
manuellement, ce qui retire presque tout avantage à la machine
de vote électronique: autant commencer par compter
manuellement les bulletins.
Organiser une simulation de vote. Ceci permet de
vérifier le fonctionnement technique de la machine, mais une
machine frauduleuse serait conçue pour ne frauder que lors du
vote réel, sur la base de la durée du vote, du nombre
d'électeurs, de la date, ou d'une manipulation opérée par un
électeur complice de la fraude (par exemple l'appui sur une
combinaison de touches).
Utiliser des systèmes complexes de signatures et de
certificats cryptographiques. En définitive, ces systèmes
sont vains car ils imposent toujours, soit de faire confiance au
fabricant de la machine, soit de renoncer à l'anonymat du vote.
Ils sont également incompréhensibles pour au moins 99% des
électeurs.
Une autre piste consiste à certifier la conception interne des
machines de vote électronique, ce qui se heurte à d'autres
obstacles:
le secret industriel: le fabricant refuse de dévoiler
l'ensemble de sa conception (par exemple les codes source des
logiciels)
la compétence: même si un expert atteste que la machine
est sincère, le simple électeur n'a pas les éléments pour le
vérifier par lui-même.
La complexité: certains systèmes sont d'une complexité
telle qu'un expert aurait le plus grand mal à véritablement
certifier qu'ils ne peuvent que fonctionner correctement.
Même en supposant que le fabricant a conçu un système simple, basé
sur du code source ouvert, et qu'il accepte de faire expertiser par
tous les experts qui en font le demande, la fraude resterait
possible. Cette transparence pourrait même faciliter le piratage, en
donnant à beaucoup de personnes les informations nécessaires pour
pirater la machine.
Pour prendre un exemple fictif qui parlera à beaucoup de lecteurs,
supposons que la machine de vote électronique utilise un logiciel
programmé en langage Python, tournant sur une carte Raspberry Pi
sous Linux, basée sur un microprocesseur de type ARM. Supposons que
des centaines d'experts ont confirmé la fiabilité du logiciel Python
publié par le fabricant. Il resterait encore de multiples
possibilités de fraude:
La modification du logiciel: rien ne permet à
l'électeur d'être sûr que la machine est équipée du logiciel qui
a été certifié par les experts. Il peut s'agir d'une version
frauduleuse, affichant le même numéro de version, et la même
somme de contrôle que le logiciel certifié car le logiciel
serait également modifié pour ne pas afficher la somme de
contrôle réelle.
La modification du compilateur ou de l'interpréteur: il
s'agit du logiciel qui permet à la machine d'exécuter le langage
de haut niveau (ici Python) dans lequel est écrit le logiciel.
Il est possible de créer un compilateur ou un interpréteur qui
semble fonctionner correctement, sauf pour une combinaison
particulière d'instructions. Ce type de fraude est très
difficile à détecter.
La modification du système d'exploitation: il s'agit
des logiciels qui assurent le fonctionnement général de la
machine (écran, clavier, etc...). Si certaines machines
n'utilisent aucun système d'exploitation (programmation “bare
metal”, c'est-à-dire “métal à nu”), c'est aujourd'hui rare
car les machines utilisent des systèmes complexes d'interface
graphique, de communication, et de stockage. L'hypothèse est
donc une machine comportant le système d'exploitation Linux. Un
tel système peut être modifié à volonté, et il peut par exemple
exécuter chaque logiciel de façon normale, à l'exception de
certaines opérations particulières, ce qui peut être mis à
profit pour créer une machine frauduleuse très difficile à
démasquer. Par exemple le système d'exploitation pourrait
afficher à l'écran un autre texte que celui que le logiciel
demande d'afficher, ou indiquer au logiciel un autre endroit que
celui où l'électeur a cliqué.
La modification du microprocesseur ou de la mémoire:
une institution disposant de moyens financiers importants
(quelques millions d'euros), comme un État ou une grande
entreprise, pourrait aisément faire fabriquer un circuit intégré
ressemblant en tous points au microprocesseur ou à la mémoire
contenant le logiciel, mais faisant des opérations inhabituelles
dans certains cas très précis. Une telle fraude serait
fondamentalement indétectable, sauf à utiliser des techniques
d'analyse destructrices et très coûteuses.
En conclusion, la confiance que l'on peut avoir dans les machines de
vote électronique est effectivement juste celle que l'on peut avoir
dans son fabricant, et encore en supposant que personne n'a modifié
la machine après qu'elle a été fabriquée. Car il faut savoir qu'aux
Pays-Bas, les machines de vote électronique ont été abandonnées
lorsqu'une association disposant de moyens dérisoires a démontré
qu'elle n'avait eu besoin que d'un mois pour rendre frauduleuse une
machine initialement sincère, et qu'elle n'avait besoin que d'une
minute pour rendre frauduleuse toute autre machine du même modèle
(en remplaçant le logiciel). Malgré cette révélation et de façon
incompréhensible, ce modèle de machines est encore utilisé dans
quelques communes françaises, même pour les élections
présidentielles et législatives.
Le tiers de confiance
Il s'agit donc avant tout d'une question de tiers de confiance:
on fait confiance au résultat parce qu'on pense que la structure qui
organise le vote n'a aucune raison à tricher, ou n'a pas intérêt à
tricher.
La notion de tiers de confiance est très habituelle: lorsqu'un
propriétaire donne congé à un locataire par lettre recommandée, La
Poste est le tiers de confiance qui atteste que la lettre portant
tel numéro a bien été envoyée par le propriétaire au locataire, que
cette lettre a été notifiée à telle date, et a été délivrée (ou
non). En cas de contestation, les tribunaux considèrent que La Poste
dit la vérité, c'est-à-dire que c'est un tiers de confiance valable.
D'autres tiers de confiance habituels sont les huissiers de justice,
les notaires, les banques qui enregistrent un virement entre deux
personnes, les mairies qui justifient la conformité d'une
photocopie, les traducteurs assermentés, etc...
Si un tiers de confiance triche, c'est un problème majeur car cela
met en cause beaucoup de contrats et de droits. Mais généralement,
il prendrait un risque énorme s'il était démasqué, il n'a donc pas
intérêt à tricher. Par exemple, La Poste aurait beaucoup à perdre et
presque rien à gagner si elle mentait sur la date de présentation
d'une lettre recommandée à un locataire.
Cependant, il est difficile pour une entreprise de se présenter
comme au-dessus de tout intérêt, si la question en jeu est aussi
importante que le choix du président des USA, du Sénat, ou de la
Chambre des Représentants. On peut craindre que ses dirigeants aient
une préférence personnelle dans le choix qui sortira des urnes, ou
qu'ils soient soumis à des pressions du gouvernement en place, ou
que l'entreprise soit victime de piratage par des organismes
d'espionnage nationaux, étrangers ou privés.
Pour toutes ces raisons, il est impossible d'avoir une confiance
absolue dans une entreprise fabricant des machines de vote
électronique.
C'est précisément pour cette raison que plusieurs pays, après avoir
envisagé de tels systèmes de vote, ou même après les avoir
généralisés, les ont purement et simplement abandonnés. Ainsi la
Suisse a pris la décision de généraliser le vote électronique mais
n'a jamais trouvé de solution suffisamment satisfaisante malgré des
années de réflexion, tandis que la République d'Irlande et les
Pays-Bas ont abandonné les machines de vote électronique qu'elles
avaient achetées et mises en service. La France a instauré un
moratoire sur l'installation de machines de vote électronique mais
autorise l'utilisation des quelques machines qui sont déjà en
service.
Y a-t-il eu une fraude aux USA?
La réponse est simple: a priori, il n'y a pas eu de fraude lors
de l'élection Biden-Trump de 2020.
Le vote par correspondance est complexe mais il est considéré très
sûr. S'il donne des résultats plus favorables aux démocrates que le
vote en personne, c'est pour les raisons indiquées plus haut et ceci
ne met pas en cause sa validité. Les accusations contre le vote par
correspondance sont donc sans fondement.
La confiance que l'on peut avoir dans les machines de vote
électronique est plus limitée, comme indiqué plus haut. Toutefois,
si ces machines sont indépendantes, et équipées d'un logiciel publié
avant que la liste des candidats ne soit connue, organiser une
fraude significative avec ces machines demanderait un grand nombre
de complicités, de la part des personnes qui configurent chaque
machine avant le vote ou qui activeraient une fonction frauduleuse.
C'est finalement là que se trouve la principale garantie de
sincérité: il y aurait très probablement une “taupe” qui
finirait par dévoiler la fraude. Même si cette garantie n'atteindra
jamais le niveau de sécurité du vote papier, elle est non
négligeable, surtout aux USA où mêmes les secrets militaires les
mieux gardés finissent par sortir en masse. Mais elle n'est pas non
plus totale, car certains secrets restent bien gardés, et une fraude
contenue dans un code informatique peut n'être connue que de
quelques personnes, ou même d'un unique développeur, tout en ayant
des conséquences à très grande échelle.
Quelles sont les accusations des trumpistes contre l'entreprise
Dominion Voting?
Réponse très simple: ce sont des accusations mensongères.
Donald Trump a dénoncé des fraudes électorales, tant par vote par
correspondance que par vote par machine électronique, pour contester
sa défaite (finalement confirmée) contre Joe Biden.
C'est grâce à cette dénonciation mensongère qu'il a pu convaincre
ses soutiens, membres de la tendance QAnon, d'attaquer le Capitole
le 6 janvier 2021 pour tenter d'empêcher la proclamation de la
victoire de Joe Biden.
Des témoignages sous serment confirment que Donald Trump a demandé à
trafiquer les résultats: il a demandé au Secrétaire d'État de
Géorgie de lui octroyer plus de votes qu'il n'en a eu réellement: “I
just want 11,780 votes” (Je veux juste 11 780 voix), ce
qui montre qu'il ne croyait pas lui-même à ses accusations de
fraude.
Les accusations de fraude contre Dominion Voting ont été diffusées
par la chaîne télé d'information en continu Fox News (chaîne
d'extrême-droite et à très forte audience, appartenant à Rupert
Murdoch), et il est avéré que ces accusations n'étaient basées sur
aucun élément concret. Pour cette raison, Dominion Voting a réclamé
à Fox News la somme de 1,6 milliards de dollars de dommages et
intérêts, et Fox News a accepté de verser 787,5 millions de dollars
à Dominion Voting pour éviter un procès pour accusations
mensongères. Par ailleurs, Fox News a brutalement licencié son
présentateur vedette, Tucker Carlson, le 24 avril 2023: ce
présentateur d'extrême-droite était un soutien de Donald Trump, de
ses accusations mensongères sur l'élection présidentielle de 2020,
et de nombreux autres mensonges.
Voici le véritable logo de Dominion Voting, tout en rouge:
Véritable logo de Dominion
Voting: L'urne
symbolisée et le bulletin sont rouges, et aucun bulletin ne
ressort en-dessous de l'urne. Le texte
signifie “Exact. Fiable. Transparent.”
L'entreprise Dominion Voting a subi une diffusion malveillante d'un
faux logo, présenté comme étant le véritable logo, dans lequel un
bulletin bleu ressort en-dessous de l'urne, comme indiqué en haut de
cette page, suggérant une fraude aux dépens du Parti Républicain et
au profit du Parti Démocrate. Le slogan “Accurate. Reliable.
Transparent.” était en outre remplacé par le faux slogan
“Changing the way people vote”, ce qui signifiait “Modifier
comment les gens votent”. Les menteurs affirmaient donc
que cette entreprise aurait voulu promettre qu'elle allait modifier
la manière de voter (en appuyant sur un bouton plutôt qu'en mettant
un bulletin dans l'urne) et qu'elle aurait involontairement révélé
qu'elle modifiait le choix effectué par les électeurs (en comptant
un vote démocrate au lieu d'un vote républicain). C'est un
double mensonge: Dominion Voting n'a jamais eu de logo avec un
bulletin rouge et un bulletin bleu, ni utilisé le slogan “Changing
the way people vote”.
Conclusion
Le vote le plus fiable est le vote papier directement dans une
urne, sous le contrôle des candidats et des électeurs, et avec
un dépouillement public.
Le vote par correspondance tel qu'il est organisé aux USA,
qui peut poser certains problèmes comme le risque de vote sous
influence, est complexe et augmente notablement le temps de
dépouillement, mais il est unanimement considéré comme très sûr.
Les accusations de fraude contre le vote par correspondance aux
présidentielles américaines de 2020 sont mensongères. Le vote
par correspondance est très utile pour certains électeurs que
certains États cherchent à empêcher de voter, par exemple en
réduisant le nombre de bureaux de vote, en augmentant grandement la
durée des files d'attente, ou en exigeant des documents qu'ils n'ont
pas.
Les machines de vote électronique comportent des problèmes
intrinsèques qui font qu'il est fondamentalement impossible de
démontrer techniquement leur fiabilité. C'est une raison suffisante
pour renoncer à ce type de vote, comme l'ont fait un certain nombre
de pays. Mais il est tout de même difficile d'organiser une fraude à
grande échelle sur une question majeure sans prendre le risque d'une
fuite qui démontrerait, peut-être trop tard mais de façon
irréfutable, la réalité de la fraude.